Article de Catherine CHAILLET paru dans l’Est Républicain le 04/01/2015
L’entreprise est née un soir d’orage 1965. Jean-Claude Bonnefoy a 16 ans. Il a fait venir chez ses parents, agriculteurs à Lavans-Vuillafans, un tractopelle en démonstration et s’est amusé durant trois jours à faire des travaux de terrassement chez des voisins… Le
démonstrateur et le patron de l’agence Case sont à table, à chercher à convaincre le père d’acheter le fameux tractopelle. La soirée se prolonge, chaude et animée. Vers 23 h un agent des Ponts-etChaussées prévient : « Y’a eu un glissement de terrain sur la côte d’Échevannes, tu ne pourrais pas prêter ton tractopelle de démonstration ? ». Pas très enthousiastes, les adultes…
Mais Jean-Claude Bonnefoy prend les clefs sur le buffet de la cuisine et se rend sur place… « A 4 h du matin, la route était déblayée. À 9 h, l’ingénieur des Ponts-et-Chaussée appelle mon père pour le remercier. Je l’ai entendu depuis les escaliers. Il était fier. J’ai dit à mon père : tu vois, faut me l’acheter ce tractopelle, je te rembourse à 21 ans ».
Sept millions de francs, Jean-Claude Bonnefoy s’en souvient. « Mon père a vendu deux vaches et un bout de sapins… ». Depuis, lui n’a pas cessé de travailler. Il rembourse, puis investit, un camion, un bull, embauche deux ouvriers : la SARL Jean-Claude Bonnefoy est née là, à Lavans-Vuillafans.
Une position stratégique
« J’avais du mal à recruter du personnel d’encadrement, c’était trop excentré. Le maire de Saône avait du terrain à vendre ». La zone industrielle de Saône point à peine. Jean-Claude Bonnefoy sait que viendra la future quatre voies, il est idéalement placé entre Besançon et Haut-Doubs, on est en 1977. « Je n’avais qu’un but, faire travailler mes enfants, les former et leur céder mon entreprise ».
L’époque est propice aux projets. « Les banques m’ont toujours fait confiance, ça m’a donné une force économique, la capacité d’investir, d’acheter du matériel ». Pour avancer, Jean-Claude Bonnefoy doit faire place nette. Éclaircir le champ de la concurrence. Aplanir. Ouvrir l’horizon. Et s’assurer que ses enfants sont prêts à prendre leur part de l’aventure.
Une évidence
L’apprentissage de Frédéric et Christophe a la couleur de l’enthousiasme. « Je passais mes mercredis, mes vacances, à l’entreprise, de manœuvre à chef de chantier, j’ai tout fait. Je ne me suis jamais posé la question de travailler ailleurs. C’était une évidence ». Frédéric et son père connaissent les limites d’un apprentissage maison : on ne met pas impunément le fils du patron dans une équipe.
Jean-Claude Bonnefoy rachète TTT, entreprise en difficulté et en confie les rênes à son fils aîné en gardant un œil sur les fins de mois. Manager, trouver des chantiers, gérer le personnel… « A l’époque », se souvient Christophe, « je suis très content mais je ne mesure pas très bien ce qui m’attend. Pourtant, un an après on payait le rachat de la boîte et on faisait des bénéfices ».
Quand TTT rejoint le giron Bonnefoy. Nathalie, la fille, a bien quelques velléités de voyages. Mais sa formation en comptabilité et finances la ramène pourtant à Saône. « L’entreprise fait partie de notre quotidien. Depuis toujours, elle est là, partout, à table, à la maison. Enfant, sans tout comprendre, on entend l’essentiel. On est concerné, impliqué, quel que soit notre âge, on grandit avec, c’est peut-être ça le secret de la transmission ».
Couper le bois et l’empiler
Le père ne transmet pas seul. Suzanne Bonnefoy, son épouse, a un rôle majeur. « Elle est à la fois un pilier et un modérateur, elle sait tempérer pour éviter les erreurs », confie Nathalie. « Mon père est un visionnaire, il fonce, il avance, il a vingt ans d’avance toujours. C’est un être libre qui sait s’entourer. Il fixe le but à atteindre et
fédère jusqu’au point d’arrivée. Il coupe le bois et, derrière, ma mère empile. Mais il est important de savoir s’il faut couper le bois en bouts de 30 ou de 50. Aujourd’hui, c’est nous qui empilons ».
« L’entreprise est une perpétuelle remise en cause, c’est sa fragilité. Les travaux publics, c’est un combat, et pour tenir les objectifs, mes frères et mon père sont une force, même s’il faut bien sûr déployer des forces supplémentaires quand on est une femme, surtout par rapport au père ».
Si Jean-Claude Bonnefoy maintient le cap, envers et contre les orages, c’est qu’il sait s’entourer. 300 employés aujourd’hui et la gestion des hommes demeure le point d’achoppement. Les équipes dépendent de leaders et des impulsions données, tant humainement que financièrement.
« La relation au personnel prend aux tripes. C’est compliqué et passionnant. Quand on forme des jeunes et qu’ils progressent dans la société, c’est extraordinaire. Depuis le début, mon père est allé chercher des pointures au niveau national. On commence toujours par trouver les hommes compétents avant d’investir. Ensuite, chacun cogite du point de vue de ses compétences ».
Celui de directeur général du conseil d’administration des trois entités qui forment le groupe Bonnefoy, et directeur des TP Bonnefoy pour Frédéric, celui de responsable de la branche industrielle du groupe, BBCI, pour Nathalie et, pour Christophe, celui de directeur de B2T, la branche transport du groupe qui a fusionné en 2008.
Suzanne et Jean-Claude Bonnefoy président le conseil de surveillance. Et les discussions courent toujours d’un bureau à l’autre, d’un barbecue à un repas de famille. L’un est toujours là pour l’autre. Indéfectiblement.
Emblématique
L’emblème Bonnefoy, un éléphant, est révélateur… C’est un dimanche ensoleillé, à badiner à l’heure de l’apéro. Quoi faire pour sortir du lot des TP, pour frapper les esprits. Le symbole s’impose, venu des parties de chasses et des voyages en Afrique de Jean-Claude Bonnefoy. L’éléphant, énorme et placide. Un bloc, une masse, un pas sûr. L’éléphant de la mémoire, de la longévité. L’éléphant qui a besoin d’un environnement protégé pour être serein. Et parce qu’on ne lésine pas avec une bonne idée, toute la flotte de véhicules s’affiche désormais en gris. Couleur aussi récurrente que les nuits blanches transmises du père aux enfants depuis longtemps déjà.